Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/22

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et Ivan Ivanitsch et tant d’autres… Peux-tu jurer, malheureux, qu’ils soient encore là où tu les as quittés ? Tu sais bien que tout est possible ! me murmure à l’oreille une voix sinistre et prophétique.

Je me vois dans une vallée verdoyante ombragée de palmiers élancés ; une végétation luxuriante, des fleurs aux senteurs embaumées me grisent. Au-dessus de moi s’étend le bleu illimité d’un beau ciel du Sud.

Je suis heureux pendant un instant. Tout à coup je vois se dresser devant moi un mont escarpé, un roc aride, immense, dont la cime se perd dans les nuages. Des blocs de pierre anguleux, aigus, aux formes les plus fantastiques, s’y incrustent. Des milliers de créatures humaines aux faces crispées par une terreur muette, aux yeux saillants, aux cheveux hérissés, se cramponnent avec désespoir aux saillies du rocher… Mais une force hostile et fatale les repousse pour les précipiter et les briser sur les pierres aiguës. Des têtes défigurées se détachent de troncs qui se tordent dans les convulsions de l’agonie… ces têtes hideuses roulent au bas du rocher en bondissant… les bouches sont ouvertes, des langues tuméfiées balbutient des paroles que je ne puis comprendre. Un sang rouge et chaud ruisselle et s’éparpille autour en gouttes menues qui m’éclaboussent et me brûlent jusqu’au cœur. Dans ce grouillement d’horreurs, dans ce concert de gémissements, parmi ces cadavres encore chauds et ces têtes vivantes qui lancent des regards muets et navrants, je reconnais des voix et des traits connus et aimés.