Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/59

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Après le genre de vie que j’avais mené à l’infirmerie, il me parut qu’ici j’étais dans une tombe. Quand je pensais à Gratchef, mon cœur se serrait, je pleurais ; mais ces larmes étaient loin de me soulager.

Je commençais dès les premiers jours à me voir entouré de figures vivantes… Cela m’arrivait toujours lorsque j’étais couché, jamais quand j’étais debout. Les personnages qui m’apparaissaient me semblaient être entourés de grands cadres, comme ceux que les photographes mettent en montre à leurs portes. Je ne voyais que les personnes que j’avais connues à l’hôpital de la prison. Elles étaient si pleines de vie que souvent j’avais la velléité de toucher à leurs habits. Leurs regards me contemplaient et me faisaient baisser les yeux, car je pouvais à peine les supporter. Mais dès que mes paupières s’abaissaient, mes visions s’évanouissaient pour faire place à d’autres ou bien changeaient à vue d’œil en adoptant de nouvelles formes. Ceci arrivait le plus souvent à l’apparition d’un infirmier que j’avais eu en aversion à l’hôpital. Il était tout couvert d’ulcères à moitié cicatrisés et de boutons… Un jour, je l’avais vu m’apportant une bouillie de sarrasin et y trempant le doigt à plusieurs reprises pour le lécher et le tremper encore dans l’écuelle. J’avais des nausées chaque fois que cet homme apparaissait parmi mes visions. Alors il arrivait que le fantôme se transformait. Je pouvais suivre tous les détails de cette transformation. Cela commençait toujours par le nez ; il devenait nébuleux, le tout prenait une teinte d’un gris pâle d’où sortait une nouvelle face vivante qui fixait ses regards sur moi. C’était toujours les yeux que je voyais apparaître avant autre chose.