Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/71

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Un quart d’heure plus tard, je n’avais plus que le ciel au-dessus de moi. La première chose que j’éprouvai fut une sensation de froid. L’hiver était en plein ; il tombait une pluie fine et glacée. Je vis passer un iswoschik[1] dont la haridelle trottait d’une allure paresseuse. Personne dans la rue.

Cet imbécile de directeur qui me jette dehors à cette heure et par un froid pareil ! Ne pouvait-il pas attendre jusqu’au matin ? — Et si quelqu’un m’avait dit en ce moment de retourner à la prison, j’y serais rentré de bon gré pour continuer de rêver aux pastèques mûres et juteuses… Mais personne ne me dit rien de pareil. J’avais entendu se refermer derrière moi l’énorme porte de la prison, j’avais entendu le grincement de la serrure et des verrous qu’on repoussait. C’était fini — j’étais libre : la baleine de Jonas m’avait rejeté à terre, parmi mes semblables… Mes semblables ! À qui ressemblais-je, moi ?…

Lorsque je me retrouvai dans une chambre chaude et bien éclairée, quand je vis de bons meubles, des glaces, des fleurs, tout s’embrouilla dans ma tête. Pour la première fois depuis quatre ans, je revoyais des enfants, mais ils fuyaient à mon approche pour se cacher et me regarder de loin avec terreur et curiosité. Je ne reconnaissais plus ma voix, qui était devenue rauque et dure… J’avais désappris à parler ; je commençais une phrase pour m’arrêter court, oubliant les mots les plus usités ; je ne savais plus les noms de ma sœur et de mon frère… La première

  1. Cocher de fiacre.