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Voici les divins prestiges de la lumière
Qu’en mon âme diaphane j’ai reflétés.
Si vous venez en moi, tout cela va périr.
Vous régnerez sur une âme désenchantée,
Vous brûlerez mes pauvres joies comme la cire
Qui meurt d’amour devant votre divinité.
Je sais que votre main déchire,
Et vos saints nous ont dit comme vous leur comptez
Les instants fugitifs de l’amoureux délire
Et que chaque jour vous persécutez
D’un terrible et savant martyre
Les imprudents qui en vos bras cruels se sont jetés.


Et maintenant vous voudriez que je vous aime…
Seigneur, épargnez-moi.
Ne chantez plus votre miraculeux poème,
Ou chantez-le avec si peu d’émoi
Qu’on ne reconnaisse plus votre voix.
Cachez cette douceur qui fait un diadème
A votre visage de roi.
Cachez vos plaies et les stigmates de la croix,
Cachez vos plaies qui font que l’on vous aime.
N’approchez pas de moi, n’approchez pas,
Ou du moins apaisez le cher bruit de vos pas.
Marchez comme un voleur aux subtiles prudences,
N’ayez pas de lumière en vos mains de silence.
Eteignez l’auréole autour de vos cheveux.
J’ai peur, et je ne sais pas encor si je veux…
Cueillez mon âme comme uu fruit qui se détache.
Ne me demandez pas que j’en fasse l’aveu.
Emportez-moi si vous voulez, sans que je sache.
Descendez sans que je vous voie
En mon jardin dont les roses meurent d’effroi.
Profitez, ô Voleur, de l’agonie du jour.
Emportez-moi
Sans que je voie
Le visage terrible et doux de votre amour.

(Garnier, éd.)