Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/101

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doit marcher contre vous de toutes ses forces, et si vous êtes un mauvais citoyen. Mais nous traiterons ces questions quand vous irez mieux. Je ne veux pas vous tuer.

— Pendant que je considérais l’univers sous l’aspect de la mortalité, je me disais précisément que nous pouvons tuer beaucoup de gens sans l’avoir voulu. Dans le plein tissu des événements heureux et surtout des événements malheureux, de faibles efforts peuvent avoir des conséquences incalculables. Souvent toutes nos forces ne déplacent pas un grain de sable, et parfois nous n’avons pas besoin de toutes nos forces pour tuer un homme. Quand un homme se meurt, il ne meurt pas seulement de la maladie qu’il a. Il meurt de toute sa vie. Je ne veux pas, citoyen docteur, attribuer trop d’importance à des idées troubles qui me venaient dans l’ardeur de la fièvre. Mais je me disais qu’avant de déclarer — sincèrement — à un homme isolé que l’on marchera de toutes ses forces contre lui, on doit au moins examiner si vraiment cet homme seul est un grand criminel.

— Je veux seulement vous demander un bref renseignement. Ces bons citoyens qui marchèrent de toutes leurs forces contre vous mauvais citoyen connaissaient-ils ces prophètes qui vous avaient prédit que les cahiers ne réussiraient pas et qui vous avaient en passant donné ce qu’on nomme un bon conseil ?

— Je ne sais s’ils se connaissaient, mais ils étaient identiquement les mêmes hommes.

— Je m’en doutais bien un peu, répondit en souriant le citoyen docteur. Quand certains hommes ont prophétisé du mal à une institution ou à des individus, ils