même une épouvante sincère qu’une espérance religieuse. Tous ces fils de Renan, qui dialoguaient, étaient des savants religieux.
— Ou plutôt une inquiétude et même une épouvante, si elle est sincère, est bonne ; au lieu qu’une espérance enchanteresse est mauvaise. Ne nous laissons pas bercer. Croyons qu’une souffrance vraie est incomparable au meilleur des enchantements faux. Ne soyons pas religieux, même avec Renan.
— Ne nous retirons pas plus du monde vivant pour considérer les sidérales promesses que pour contempler une cité céleste. Il me paraît que l’humanité présente a besoin de tous les soins de tous les hommes. Sans doute elle aurait moins besoin de nos travaux si les hommes religieux qui nous ont précédés avaient travaillé un peu plus humainement et s’ils avaient prié un peu moins. Car prier n’est pas travailler. Il me paraît incontestable que l’humanité présente est malade sérieusement. Le massacre des Arméniens, sur lequel je reviendrai toujours, et qui dure encore, n’est pas seulement le plus grand massacre de ce siècle ; mais il fut et il est sans doute le plus grand massacre des temps modernes, et pour nous rappeler une telle mort collective, il nous faut dans la mémoire de l’humanité remonter jusqu’aux massacres asiatiques du Moyen-Âge. Et l’Europe n’a pas bougé. La France n’a pas bougé. La finance internationale nous tenait. Nous avons édifié là-dessus quelques fortunes littéraires et plusieurs succès oratoires. Pas moi. Ni vous. Ni le peuple. Mais ni le peuple, ni vous, ni moi, nous n’avons bougé. La presse infâme, vendue au Sultan, abrutissait déjà le peuple. Et puis, cause d’abstention plus profonde : l’Europe est malade, la France