Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/344

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Le philosophe Pierre Baudouin et l’historien Pierre Deloire se taisaient ensemble au pied du vieux poirier. Pierre Deloire salua d’un geste sobre. Mais Pierre Baudouin, qui avait une espérance intérieure d’événement heureux, manifestait un commencement d’exubérance. Il s’avança droit sur mon cousin, le dévisagea, le toisa de la tête aux pieds, reconnut en lui quelqu’un qui aimait à faire marcher pour de bon. Il s’arrêta net, retira cérémonieusement son chapeau, salua ; puis d’une voix grossièrement grosse :

— Bonjour monsieur.

Mon cousin le regarda fixement, reconnut son homme, celui qui ferait semblant de marcher. Il assura sa casquette sur sa tête, remit ses deux mains dans ses poches ; puis d’une voix violente :

— Bonjour citoyen.

Mais Pierre Baudouin répéta :

— Bonjour monsieur.

— Je ne sais pas qui vous êtes, répondit mon cousin avec emportement, puisque mon abruti de petit cousin a complètement oublié de me le dire. Mais sachez que je n’admets pas qu’on m’appelle monsieur. Qu’est-ce que je vous ai fait pour que vous m’appeliez monsieur devant tout le monde. Un jour de compte rendu de mandat, encore. Dans une réunion. Sachez qu’à Orléans je m’appelle toujours citoyen. Quand je veux allumer ma cigarette, en m’en allant, le malin, dans la rue Bourgogne, j’avise le premier fumeur qui passe : Pardon, citoyen, voulez-vous me donner du feu ? — Mais oui, qu’il me répond, citoyen. Tant plus qu’on en prend, tant plus qu’il en reste. Et puis quand je veux prendre mon apéro, pour ne pas faire suisse, à onze heures, j’appelle