Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/392

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— Monsieur, dit Pierre Deloire, c’est une opération que l’histoire a fort souvent enregistrée, mais les opérations les plus nombreuses ne sont pas pour cela raisonnables. Je vous avoue que je n’y avais pas encore pensé.

— J’ai fort oublié mon arithmétique, dit Pierre Baudouin. Il faut que nous allions chercher le maître d’école.

— Je savais mon arithmétique à l’école primaire : allons chercher le maître d’école.

— Il ne pourra pas venir aujourd’hui, répondis-je, car il est secrétaire de mairie et doit s’occuper de l’élection. Moi-même je vais vous quitter pour aller voter. Le scrutin ferme à six heures. Vous savez que c’est aujourd’hui que nous donnons définitivement un successeur à M. Marcel Habert. Je tiens à voter, car je ne suis pas un abstentionniste, comme le prétendent mes noirs ennemis. Je vais voter pour le candidat patriote.

Ce mot sur mon cousin fit un effet prodigieux. Tout le temps que mes deux amis s’étaient récusés, il rayonnait, attendant le maître d’école. Mais au mot de patriote il fit un saut prodigieux.

— C’est donc vrai, hurla-t-il avec des éclats terribles, on me l’avait bien dit que tu trahissais la République. Tu vas voter pour un sale nationaliste, pour un militariste, pour ce comte de Caraman dont j’ai vu sur la route les affiches tricolores.

— Non, les affiches tricolores étaient de M. l’abbé Louis Georges. Je vais voter pour M. Olivier Bascou, candidat de la défense républicaine. C’est lui qui a mis sur une affiche : patriote avant tout, en lettres grosses comme le doigt.