Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/448

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— Je te l’ai dit trois fois, mon ami ; mais ces trois fois n’avaient pas la même valeur. C’est parce qu’en effet j’étais resté là, tout en allant ailleurs, que je pus répondre habituellement au capitaine :

— Si vous voulez, mon capitaine.

Si naturellement et si vraiment que pas un d’eux n’a connu que j’étais parti en un tel voyage ; aucun n’a soupçonné le transport mystérieux. Imagine, si tu l’oses, quelle scandaleuse déconvenue, si le capitaine avait pu supposer que le chef de la deuxième section s’était absenté sans congé. Or nous devons éviter le scandale, nous tous, et particulièrement dans l’armée militaire, et plus particulièrement quand nous sommes rois.

Par la duplicité de ma mémoire mon absence fut totalement occulte. Or j’ai toujours tenu beaucoup, dans mes déplacements et villégiatures, à garder le secret de ce que je devenais ; c’est ce que nous nommons voyager incognito ; je suis timide, comme les vrais potentats, et je ne puis supporter le regard des yeux indiscrets. Au régiment je ne puis voyager incognito, parce que mon livret militaire était individuel et nominatif, parce que ma lettre de service est individuelle et nominative ; mais un uniforme, que tout le monde porte, fait le mieux garanti des anonymats.

Par la duplicité de ma mémoire, qui cependant enregistrait les événements de la réalité présente, j’eus nettement, après que je fus revenu, l’assurance, l’impression qu’au nom de Voulzie pas un de mes camarades n’avait bougé.

Pas un poil de leur moustache, pas un muscle de leur face n’avait tressailli. Or mes camarades n’étaient pas