Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/64

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Les chants révolutionnaires, chantés en salles closes, n’ont assurément pas moins de paroles déplaisantes que de paroles réconfortantes. Chantés dans la rue contre la police et contre la force armée, ils doivent être singulièrement et fiévreusement, rougement ardents. Chantés pour la première fois dans la rue avec l’assentiment d’un gouvernement bourgeois républicain, ils avaient un air jeune et bon garçon nullement provocant. Ces chansons brûlantes en devenaient fraîches. Mais plus volontiers que les chansons traditionnelles, plus fréquentes encore, les acclamations et les réprobations rythmées traditionnelles, moitié chant, moitié verbe et moitié tambour, les conspuez et les vive scandaient la marche du peuple. On redisait inlassablement les anciens rythmes, et, comme on était en un jour d’expansion, on improvisait de nouvelles paroles. Si les ennemis de M. le marquis de Rochefort — on m’assure qu’il en a gardé quelques-uns — s’imaginaient que sa popularité a diminué, ils auraient tort. Elle s’est retournée seulement. Je ne crois pas que jamais le peuple de Paris ait aussi tempétueusement crié ce nom de Rochefort. Il était beaucoup plus question d’un certain Boubou que d’un certain Barbapoux. La guerre inexpiable de la rime et de la raison se poursuivait parmi ce peuple en marche. Les rimes en on étaient particulièrement recherchées, parce que, sous une forme écourtée, elles introduisent le refrain populaire ton ton ton taine ton ton. Les rimes en on avaient l’avantage d’être particulièrement nombreuses. Mais elles avaient le désavantage de n’être pas toutes convenables. Comme on était dans la rue, et comme il y avait beaucoup de femmes et d’enfants dans le cortège, et dans la double haie des