Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/69

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À mesure que la fête se développait énorme, la pensée du robuste Jaurès revenait parmi nous. Quand nous chantions : Vive Jaurès ! la foule et le peuple des spectateurs nous accompagnaient d’une immédiate et chaude sympathie. Jaurès a une loyale, naturelle et respectueuse popularité d’admiration, d’estime, de solidarité. Les ouvriers l’aiment comme un simple et grand ouvrier d’éloquence, dépensée, d’action. L’acclamation au nom de Jaurès était pour ainsi dire de plain pied avec les dispositions des assistants. Continuant dans le même sens, plusieurs commencèrent à chanter : Vive Zola ! Ce cri eut un écho immédiat et puissant dans le cortège, composé de professionnels habitués dès longtemps à se rallier autour du nom protagoniste. Mais la foule eut une légère hésitation. C’est pour cela que nous devons garder à Zola une considération, une amitié propre. Il faut que cet homme ait labouré bien profondément pour que la presse immonde ait porté contre lui un tel effort de calomnie que même en un jour de gloire la foule, cependant bienveillante, eût comme une hésitation à saluer le nom qu’elle avait maudit pendant de longs mois. Cela est une marque infaillible. Voulant sans doute pousser l’expérience au plus profond, quelques-uns commencèrent à chanter : Vive Dreyfus ! un cri qui n’a pas retenti souvent même dans les manifestations purement dreyfusardes. Ce fut extraordinaire. Vraiment la foule reçut un coup, eut un sursaut. Elle ne broncha pas, ayant raisonné que nous avions raison, que c’était bien cela. Même elle acquiesça, mais il avait fallu un raisonnement intermédiaire, une ratification raisonnée. Dans le cortège même il y eut une légère hésitation. Ceux-là même qui avaient lancé