Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cortège. Les gens du faubourg s’approchaient, épelaient, lisaient la — Petite — République — socialiste ; Ni Dieu — ni — maître, applaudissaient, acclamaient, suivaient. Rien ne distinguait plus le cortège et les spectateurs. Le peuple descendait dans la foule et se nourrissait d’elle. On rechanta la vieille Marseillaise, récemment disqualifiée auprès des socialistes révolutionnaires par la faveur des bandits nationalistes. Tout le faubourg descendait dans la nuit, en une poussée formidable sans haine.

La dislocation eut lieu pour nous place de la Bastille. Ceux de la rive gauche s’en allèrent par le boulevard Henri IV. Groupés en gros bouquets aux lueurs de la nuit, les drapeaux rouges regagnaient de compagnie leurs quartiers et leurs maisons. Les bals commençaient bientôt.

Avec la fatigue de la journée, des inquiétudes et des scrupules me venaient. Je sais bien qu’il n’y a plus de lanternes, je sais bien que les bourgeois ont fait construire par des ouvriers des becs de gaz qui ne sont plus des lanternes, sans les anciennes cordes et sans les anciennes potences. Plusieurs des refrains de la journée ne me trottaient pas moins par la tête, violents et laids. Sera-t-il dit que cette Révolution d’amour social et de solidarité sera faite avec ces vieilles paroles de violence, de haine, et de laideur. Cela se peut. Il se peut que nous ayons parfait la Révolution sociale avant qu’un architecte de génie nous ait donné la maison du peuple nouveau, avant qu’un poète de génie nous ait donné le poème ou le chant de la révolution nouvelle, de la cité nouvelle. Ce ne sera pas la première fois qu’il