Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/121

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où il est en réalité, à le demander, sous son nom, partout où il doit être. Plusieurs descriptions des misères industrielles nous encouragèrent dans notre espoir. Nous fûmes finalement déçus.

Tout au commencement du livre, Mathieu est pauvre. Cela est si fortement établi que la mémoire de cette pauvreté traverse tout le roman jusqu’à la fin, masque les fortunes, et fait équilibre à la possession des richesses. Il n’y a là qu’un artifice, employé sincèrement, mais nullement probant. La pauvreté a toutes les vertus, moins une : celle de donner droit à la possession de la richesse. Mathieu et sa race finissent par exercer le droit d’us et d’abus sur un nombre incalculable de moyens de production.

Zola n’a pas manqué de sentir la difficulté. S’il ne l’avait pas sentie de lui-même, Sully-Prudhomme[1] la lui aurait enseignée :

Du plus aveugle instinct je me veux rendre maître,
Hélas ! non par vertu, mais par compassion ;
Dans l’invisible essaim des condamnés à naître,
Je fais grâce à celui dont je sens l’aiguillon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’homme à qui son pain blanc maudit des populaces

Pèse comme un remords des misères d’autrui,
À l’inégal banquet où se serrent les places,
N’élargira jamais la sienne autour de lui !

Selon que l’on résout ou non cette difficulté, on est ou on n’est pas socialiste. Sully-Prudhomme ne l’a pas

  1. Vœu, dans les Vaines Tendresses (Poésies, 1872-1878), pages 108 et suivantes, petite édition Lemerre.