Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/127

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première fois un homme grec osa, lever des yeux mortels encontre, et le premier s’asseoir encontre. » Je n’ai pas à concilier Lucrèce avec Lucrèce, mais au moins soyons comme cet homme grec. Levons nos regards humains vers les dieux. Ne croyons pas qu’il suffise de chanter l’hymne de l’amour universel : « Et, de même que, le soir de la conception, toute l’ardente nuit de printemps, avec son odeur, était entrée pour que la nature entière fût de l’étreinte féconde, de même aujourd’hui, à l’heure de la naissance, tout l’ardent soleil flambait là, faisant de la vie, chantant le poème de l’éternelle vie par l’éternel amour. »[1] « [Marianne] n’était point seule à nourrir, la sève d’avril gonflait les labours, agitait les bois d’un frisson, soulevait les herbes hautes où elle était noyée. Et, sous elle, du sein de la terre en continuel enfantement, elle sentait bien ce flot qui la gagnait, qui l’emplissait, qui lui redonnait du lait, à mesure que le lait ruisselait de sa gorge. Et c’était là le flot de lait coulant par le monde, le flot d’éternelle vie pour l’éternelle moisson des êtres. Et, dans la gaie journée de printemps, la campagne éclatante, chantante, odorante, en était baignée, toute triomphale de cette beauté de la mère qui, le sein libre sous le soleil, aux yeux du vaste horizon, allaitait son enfant. »[2] « De toutes parts, la vie féconde charriait les germes, créait, enfantait, nourrissait. Et, pour l’éternelle œuvre de vie, l’éternel fleuve de lait coulait par le monde. »[3] Jamais sans doute un hymne aussi éclatant ne fut chanté à la gloire de Vénus perpétuelle, et

  1. Fécondité, page 223.
  2. Fécondité, page 247.
  3. Fécondité, page 615.