Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/225

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mystérieuse, agnosticiste ; et que c’est la méthode intuitive qui est humaine, modeste, claire et distincte autant que nous le pouvons, scientifique.

Épuiser l’immensité, l’indéfinité, l’infinité du détail pour obtenir la connaissance de tout le réel, telle est la surhumaine ambition de la méthode discursive ; partir du plus loin possible, cheminer par la plus longue série possible ; parvenir le plus tard possible ; à peine arrivés repartir pour un voyage intérieur le plus long possible : mais si du départ le plus éloigné possible à l’arrivée la plus retardée possible et dans cette arrivée même une série indéfinie, infinie de détail s’interpose immense, comment épuiser ce détail ; un Dieu seul y suffirait ; et dans le même temps que les professeurs d’histoire et que les historiens renonçaient à devenir des rois et des empereurs, et qu’ils s’en félicitaient, ils ne s’apercevaient point que dans le même temps cette même nouvelle méthode, cette méthode scientifique, cette méthode historique moderne exigeait qu’ils devinssent des Dieux.

Telle est bien l’ambition inouïe du monde moderne ; ambition non encore éprouvée ; le savant chassant Dieu de partout, inconsidérément, aveuglément, ensemble de la science, où en effet peut-être il n’a que faire, et de la métaphysique, où peut-être on lui pourrait trouver quelque occupation ; Dieu chassé de l’histoire ; et par une singulière ironie, par un nouveau retour, Dieu se retrouvant dans le savant historien, Dieu non chassé du savant historien ; c’est-à-dire, littéralement, l’historien ayant conçu sa science selon une méthode qui requiert de lui exactement les qualités d’un Dieu.

Telle est bien la pensée de derrière la tête de tous ceux qui ont fondé la science historique moderne,