Aller au contenu

Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur qui sert à peindre, le marbre qui sert à sculpter, la laine qui sert à broder. La possibilité de faire exister de nouveau ce qui a déjà existé, de reproduire tout ce qui a eu de la réalité ne saurait être niée. Hâtons-nous de le dire, toute affirmation en pareille matière est un acte de foi ; or qui dit acte de foi dit un acte outre-passant l’expérience (je ne dis pas la contredisant). Après tout, notre espérance est-elle présomptueuse ? Notre demande est-elle intéressée ? Non, non certes. Nous ne demandons pas une récompense ; nous demandons simplement à être, à savoir davantage, à connaître le secret du monde, que nous avons cherché si avidement, l’avenir de l’humanité, qui nous a tant passionnés. Cela est permis, j’espère. Ceux qui prennent l’existence comme un devoir, non comme une jouissance, ont bien droit à cela. Pour moi, je ne réclame pas précisément l’immortalité, mais je voudrais deux choses : d’abord n’avoir pas offert au néant et au vide les sacrifices que j’ai pu faire au bien et au vrai ; je ne demande pas à en être payé ; mais je désire que cela serve à quelque chose : en second lieu, le peu que j’ai fait, je serais bien aise que quelqu’un le sût ; je veux l’estime de Dieu, rien de plus ; ce n’est pas exorbitant, n’est-ce pas ? Reproche-t-on au soldat mourant de s’intéresser au gain de la bataille et de désirer savoir si son chef est content de lui ?

« La sensation cesse avec l’organe qui la produit, l’effet disparaît avec la cause. Le cerveau se décomposant, nulle conscience dans le sens ordinaire du mot ne peut persister. Mais la vie de l’homme dans le tout, la place qu’il y tient, sa part à la conscience générale, voilà ce qui n’a aucun lien avec un organisme, voilà ce