Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hugo, si éternel toutes les fois qu’il n’essaie pas d’avoir une idée à lui :

Non, si puissant qu’on soit, non, qu’on rie ou qu’on pleure.
Nul ne te fait parler, nul ne peut avant l’heure
Ouvrir ta froide main,
Ô fantôme muet, ô notre ombre, ô notre hôte,
Spectre toujours masqué qui nous suit côte à côte,
Et qu’on nomme demain !

Oh ! demain, c’est la grande chose !
De quoi demain sera-t-il fait ?

Ainsi avertis parmi nous, comment nos camarades historiens ne renieraient-ils pas aujourd’hui les primitives ambitions, les anticipations de l’un, les assurances de l’autre, et les infinies présomptions qui ont pourtant institué toute la pensée moderne ; comment ne les renieraient-ils pas, avertis qu’ils sont dans leur propre travail ; et comment travailleraient-ils même s’ils ne les reniaient pas incessamment ; sachons-le ; toutes les fois qu’il paraît en librairie un livre, un volume d’un historien moderne, c’est que l’historien a oublié Renan, qu’il a oublié Taine, qu’il a oublié toutes ces grandeurs et toutes ces ambitions ; qu’il a oublié les enseignements des maîtres de la pensée moderne ; et les prétentions à l’infinité du détail ; et que, tout bêtement, il s’est remis à travailler comme Thucydide.

Et ce n’était pas la peine de tant mépriser Michelet.

Les vieux eux-mêmes, Taine, Renan, les autres, quand ils travaillaient, oubliaient, étaient contraints d’oublier leurs propres enseignements ; leurs propres ambitions ; toutes les fois qu’un volume de Taine paraissait, c’était