Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/307

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maient un cortège ne laissaient dans la mémoire que le souvenir du rythme commun de tout ce cortège ; dans la mémoire voitures, président, roi, qu’on n’avait pas vu, préfet de police, qu’on avait vu en tête, chevaux, soldats n’étaient bientôt plus que des appareils, des demi-fantômes roulant et marchant du même pas, de ce trot singulier, coulant, enlevant, solennel et pressé.

Dois-je avouer qu’il y avait beaucoup de monde dans les rues ? Je le dois. Nos cœurs de démocrates en saigneront, mais je le dois. Il y avait beaucoup de monde qui passait dans les rues, allait et venait, regardait, se laissait et se faisait regarder. Je dois le dire : Il y avait beaucoup plus de monde qui se pressait dans les rues ce jour-là que nous n’en voyons se précipiter aux séances vesprées de nos utiles Universités Populaires. Singulier peuple, qui ne se précipite point aux doctes leçons de nos savantes Universités Populaires, et qui se presse à des cérémonies plus ou moins populaires, vraiment, plutôt moins que plus, d’une popularité contestable, à des fêtes royales, à des cortèges présidentiels ; qui pourtant ne se nomment point officiellement populaires. Peuple ingrat. Singulier peuple. Peuple antithétique. Quand on lui fait ces belles petites Universités Populaires bien sages, bien proprettes, sagement scientifiques, sagement embêtantes, sagement anarchistes au besoin, et, s’il le faut, révolutionnaires, dans le genre pot-au-feu, et, à la limite extrême, doctoralement indoctes, on ne peut pas dire, entre nous, qu’il s’y précipite. Il n’y a point d’accidents parce que l’on s’écrase aux portes. Et au contraire, passe-t-il seulement trois chevaux dans la rue, que incontinent le voilà, déjà sorti,