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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/312

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tout à fait poète, un Hugo Louis-Philippe et alliance anglaise, enfin le Hugo du retour des cendres ; qu’est-ce que ça fait, pourvu qu’il y ait des alignements et qu’il y ait des masses ; et qu’il pût toujours demeurer fidèle à son Dieu, à son roi, je veux dire à Hugo lui-même ; et comme aisément Paris, sur le parvis et sur les quais, sur les ponts, se retrouvait le vieux Paris ; comme il se retrouvait lui-même, fidèle aux souvenirs ; même foule, mêmes cérémonies, mêmes monuments ; étant même peuple ; même vieux Panthéon, même antique Notre-Dame ; même Seine, surtout, et mêmes quais, quand même ce ne seraient pas les mêmes ; et quand même il n’y en aurait pas eu autrefois ; mêmes ponts, quand même on les aurait refaits depuis ; et quand même autrefois ils n’auraient pas existé du tout ; même parvis, quand même on l’aurait ouvert, créé, exhaussé, quand même on aurait un jour enseveli les pieds de Notre-Dame sous cette horizontale égalité de terre plane ; et quelle joie, tout à coup, joie du sentiment et de l’intelligence, de la mémoire et de l’histoire, ensemble et inséparablement de l’esprit et des sens, et ravissement de surprise de l’âme historienne, que de comprendre tout-à-coup, de saisir, de ressaisir, de voir, de savoir, de ressavoir, brusquement, d’un seul regard, — et n’est-ce pas plutôt d’un regard intérieur, — de retrouver soudainement en soi-même et de comprendre enfin tout un poète oublié, toute une période que l’on croyait abolie, toute une ville, tout un passé de toute une ville ; et quelle ville, Paris, ville de pierre, peuple de monuments, peuple de mémoires, peuple d’anciennes actions, Paris, capitale du monde, ville capitale, tout un âge que l’on croyait révolu.