Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pense que le riche ne peut pas faire son salut socialiste, comme il pensera plus tard, en se rattachant à la tradition chrétienne, qu’au riche le salut chrétien est difficile sinon impossible. Et pour achever de comprendre son idée de la pauvreté on pourra lire encore dans ce volume même les pages intitulées Les Suppliants, un peu confuses, subtiles, alambiquées et extrêmement curieuses.

Nous n’avons pas fini de nous rendre intelligibles la manière d’être de Péguy ; nous devrions encore l’accompagner quelque temps et le suivre dans ses déceptions, déboires d’éditeur, difficulté d’existence, chagrin devant ce qu’il appellera « la faillite et la décomposition du dreyfusisme », brouille avec Jaurès et divers. Daniel Halévy donne d’utiles détails sur les conditions dans lesquelles il fonda les Cahiers. Il y a là des faits qui mettent des teintes nouvelles sur son caractère. Mais au point où nous sommes parvenus de sa biographie nous tenons l’essentiel, l’ossature de l’animal. En pleine bataille autour de Dreyfus, quand Péguy décida de quitter l’École Normale sans achever sa troisième année d’étude, il avait terminé ce qu’il nous aurait permis d’appeler son Introduction à l’héroïsme. Nous avons maintenant à comprendre sa conversion.

Comment ce jeune normalien de tempérament doctrinaire et farouche, dreyfusiste, anticlérical, comment l’apôtre de la Cité socialiste, l’homme de Marcel, dialogue de la cité harmonieuse où la vision devient si béate, si irréelle que ce vrai poète y perd son talent et presque toute sensibilité, comment un tel homme en deux ans arriva-t-il à se contredire et à se retourner