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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/424

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c’est du grec, dans du français, un État dans l’État, un royaume de langage dans un royaume de langage. Au même endroit le Grec ne bronchait pas, il continuait, il passait, uniment, parce qu’il trouvait Ἀχιλλεύς, et que Ἀχιλλεύς, pour le Grec, c’était du grec, dans du grec homogène. Où le Grec aurait pu manifester un certain étonnement, légitime, c’était s’il avait trouvé dans son texte Dupont ou Durand. C’est pourtant ce que l’on nous fait quand on nous fait trouver dans nos textes Akhilleus.

Il n’y a pas plus de raison pour que nous trouvions un mot grec, fût-ce un nom propre, en vrac, non traduit, dans une traduction qui est somme toute elle-même un texte français, qu’il n’y a de raison pour fourrer un mot français, fût-ce un nom propre, en vrac, non traduit, dans un texte grec, dans le texte original grec.

Cela est si vrai que l’on se demande et qu’il n’y a vraiment absolument aucune raison pour que l’on ait mis au nominatif ces noms propres que l’on refusait de traduire. C’est un contre-sens formel, c’est un non-sens formel, c’est tout ce que l’on voudra, mais ce n’est plus du tout du grec, et ce n’est pas davantage du français, que de dire, que d’écrire : la déesse prit Odysseus par la main, ou : le dieu poursuivait Akhilleus. Il faudrait dire au moins : la déesse prit Odysséa par la main, ou : le dieu poursuivait Akhilléa. Puisqu’on parle grec, il faut décliner. Et ici, en ce point éminent, apparaît toute la vanité de cette ostentation. Le nominatif n’est pour nous un cas éminent que parce que nous nous en servons artificiellement pour désigner en français le mot grec déclinable ; parce que nous nous servons de dictionnaires ; et nous ne nous en servons pour désigner le