Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/440

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était plus qu’un amour paternel, d’un amour d’art, d’un amour d’artiste pour l’œuvre, d’un amour où inséparablement l’art se nourrit de fécondité, où la fécondité se forme d’art. Enfin les dieux l’aiment comme une glaise, bien plastique à leurs doigts, comme un métal ductile, comme un marbre qui a bien rendu. Étant donné en outre que le dieu, statuaire, est plus qu’homme, et que l’homme, matière, est plus que métal, glaise et marbre.

De là vient, nous n’en pouvons douter, de là vient, au moins en partie, que les dieux sont à ce point avec l’homme, que la fatalité est à ce point derrière l’homme qu’elle a une fois travaillé. Quand nous lisons dans les textes que Ζεύς est ξένιος : que Zeus est hospitalier, qu’il est le dieu des hôtes, que les hôtes viennent de Zeus, que l’étranger vient des dieux, que le mendiant, que le suppliant, que le malheureux est un envoyé des dieux, gardons-nous surtout de croire que ce sont là des métaphores et des élégances. Les modernes traitent ces graves questions par des métaphores et par des élégances. Les anciens entendaient ces expressions littéralement. Réellement. Ces misérables hommes, les suppliants, étaient comme des témoins ambulants de la fatalité, deux fois œuvres (ne disons point deux fois créatures) des dieux.

C’est pour cela que dans la supplication antique, — on peut les relire toutes, et comme je regrette à présent de n’avoir plus le temps de citer la très admirable supplication de Priam, — qu’on y fasse attention, dans la supplication antique, dans toute supplication antique, au fond, c’est le suppliant qui tient le haut de la supplication. L’autre est tout seul, tout nu, et ne représente