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Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/470

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auraient eu raison tout de même. Car les anciens Grecs ne revenaient point pour nous départager. Mais les écritures étaient déjà belles et moulées comme les typographies de nos éditions ultérieures. Et ces écritures admirables relevaient un peu nos moyennes. Car nos maîtres étaient des hommes. Et ces écritures moulées reposaient un peu les regards de celui qui les corrigeait. Elles défronçaient les fronts soucieux et plissés ; elles reposaient un peu les pauvres yeux dévoués, fatigués professionnellement. Souveraines contre la migraine. Manuscriptions antinévralgiques. Et elles faisaient plaisir à voir. Et leurs yeux fatigués, se fatiguant moins, inclinaient leurs âmes à l’indulgence. Et le grec, avec raison, leur paraissait meilleur. Et peut-être, en réalité, en était-il meilleur.

Porché me pardonnera. Je n’ai pas pu résister à la tentation. Comment, écrivain, résister à la tentation de se remettre à la rude et salubre, et salutaire école de la traduction. Écrivain français, comment résister à la tentation de se remettre à cet admirable grec aïeul. Je n’ai pas pu résister au désir enfantin, — mettons au désir filial, — de traduire le plus beau lever, — ou baisser, — de rideau qu’il y ait jamais eu depuis qu’il y a un théâtre au monde et que dans le monde il y a des spectateurs. Combien ne faut-il pas que la misère et plus particulièrement le malheur, défini comme la non réussite de l’événement, soient essentiels à l’humanité pour qu’en plein âge moderne un écho de la lamentation antique et de la supplication grecque retentisse