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ŒUVRES DE PROSE

perd, mais on ne sait pas quand on retrouve, ni ce que l’on retrouve. Le triomphe des démagogies est passager. Mais les ruines sont éternelles. On ne retrouve jamais tout. En pareille matière il est beaucoup plus facile de perdre que de retrouver.

On nous dit en vain que le grec s’est réfugié dans l’enseignement supérieur, qu’il demeure entier dans quelques chaires et dans quelques bibliothèques. C’est ici la plus grande stupidité que l’on ait dite dans les temps modernes, où pourtant on ne s’est pas privé de dire des stupidités. C’est comme si l’on disait que les anciens Égyptiens vivent et revivent dans les momies des sarcophages des salles basses du Louvre. Comme j’espère le démontrer dans la thèse que je prépare depuis plusieurs années de la situation faite à l’histoire et à la sociologie dans les temps modernes, il y a un abîme pour une culture, pour une histoire, pour une vie passée dans l’histoire de l’humanité, pour une humanité enfin, entre figurer à son rang linéaire dans la mémoire et dans l’enseignement de quelques savants et dans quelques catalogues de bibliothèques, et s’incorporer au contraire, par des études secondaires, par des humanités, dans tout le corps pensant et vivant, dans tout le corps sentant de tout un peuple, de tout le peuple, dans tout le corps des artistes, des philosophes, des poètes, des écrivains, des savants, des hommes d’action, de tous les hommes cultivés, des critiques mêmes et des historiens, de tous les hommes de goût, de tous les hommes de sens, de tous les hommes de droiture et de fécondité, de tous ces hommes en un mot qui formaient un peuple cultivé dans le peuple, dans un peuple plus large. Ce sont deux existences qui ne sont pas du 470