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ment, les distinctions les plus utiles, et aussi les plus fondées, entre la science et l’art social. Quand un homme jeune en vient à mettre sur pied, presque en passant, deux paragraphes aussi fermes, quand il est aussi maître de sa forme et de sa pensée, il ne suffit plus qu’il parle à propos des livres qui paraissent, et qui souvent ne valent pas la critique. Il est temps que lui-même il fasse œuvre, et nous donne un cahier.]

Tant qu’il y a de la misère, la misère prend et tient la place de la misère.

C’est un fait d’expérience que pour les individus et pour les peuples libérés la simple souffrance humaine atteint souvent à la même gravité qu’atteignait la souffrance religieuse, comme le courage humain atteint où atteignait le courage religieux, comme la dignité humaine atteint où atteignait la dignité religieuse. L’analyse permettait de prévoir les résultats de l’expérience : l’homme étant demeuré sans doute le même, sa capacité de souffrance étant sans doute à peu près la même, le misérable reçoit dans sa misère la même impression totale de désespoir ; le misérable ne reçoit pas de sa misère la même impression partielle que le non misérable qui voit la misère du misérable ; le misérable ne voit pas le monde comme le voit le sociologue ; le misérable est dans sa misère ; le regard perpétuel qu’il jette sur sa misère, lui-même est un regard misérable ; la misère n’est pas une partie de sa vie, une partie de ses préoccupations, qu’il examine à tour de rôle, et sans préjudice du reste ; la misère est toute sa vie ; c’est une servitude sans exception ; ce n’est pas seulement le cortège connu des privations, des mala-