Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/112

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du grand Napoléon, ceux de la fin, ne provenaient-ils pas généralement de bandes de déserteurs et d’insoumis que les gendarmes impériaux avaient poussés, menottes aux mains, avaient refoulés comme un troupeau jusqu’en cette île de Walcheren. De là sortit pourtant Lutzen, Bautzen, la Bérésina, le glorieux Walcheren-Infanterie, 131ème de l’arme.

Ils ont tant fui, tant et de telles fuites, qu’ils savent le prix de ne pas fuir. Campés, entrés dans les peuples modernes, ils voudraient tant s’y trouver bien. Toute la politique d’Israël est de ne pas faire de bruit, dans le monde (on en a assez fait), d’acheter la paix par un silence prudent. Sauf quelques écervelés prétentieux, que tout le monde nomme, de se faire oublier. Tant de meurtrissures lui saignent encore. Mais toute la mystique d’Israël est qu’Israël poursuive dans le monde sa retentissante et douloureuse mission. De là des déchirements incroyables, les plus douloureux antagonismes intérieurs qu’il y ait eu peut-être entre une mystique et une politique. Peuple de marchands. Le même peuple de prophètes. Les uns savent pour les autres ce que c’est que des calamités.

Les uns savent pour les autres ce que c’est que des ruines ; toujours et toujours des ruines ; un amoncellement de ruines ; habiter, passer dans un peuple de ruines, dans une ville de ruines.

Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, la mémoire d’une douleur sourde, une cicatrice, une blessure, une meurtrissure d’Orient ou d’Occident. Ils ont les leurs, et toutes celles des autres. Par exemple on a