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nous sentions ensemble, également, que tout était perdu, que la politique, notre politique, (je veux dire la politique des nôtres), commençait à dévorer notre mystique. Lui le sentait si je puis dire avec plus de renseignement, je le sentais avec plus d’innocence. Mais il avait encore une innocence désarmante. Et j’avais déjà beaucoup de renseignement.

Je puis dire, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, je dois dire que pendant ces dernières années, pendant cette dernière période de sa vie je fus son seul ami. Son dernier et son seul ami. Son dernier et son seul confident. À moi seul il disait alors ce qu’il pensait, ce qu’il sentait, ce qu’il savait enfin. Je le rapporterai quelque jour.

Je suis forcé d’y insister, je fus son seul ami et son seul confident. J’y insiste parce que quelques amis de contrebande qu’il avait, ou plutôt qu’il avait eus, des amis littéraires enfin, entreprenaient de se faire croire, et de faire croire au monde, qu’ils étaient restés ses amis, même après qu’ils avaient saboté, dénaturé, méconnu, inconnu, impolitiqué sa mystique.

Des amis de Quartier enfin, d’anciens amis d’étudiants, peut-être de Sorbonne. Des amis qui tutoient.

Et lui il était si bon que par cette incurable, par cette inépuisable bonté il le leur laissait croire aussi, et il le laissait croire au monde. Mais il m’en parlait tout autrement, parce que j’étais son seul confident, parce qu’il me confiait tous les secrets, tout le secret de sa pensée.

Il avait de l’amitié non pas une idée mystique seulement, mais un sentiment mystique, mais une expé-