Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/140

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hâtif, pourrait d’abord le laisser supposer, en vieux singes revêtus de la simarre et de l’hermine. On sentait si bien qu’il savait que lui Bernard-Lazare il avait fait marcher ces gens-là, qu’on les ferait marcher encore, et que lui Bernard-Lazare on ne le ferait jamais marcher, que ces gens-là surtout ne le feraient jamais marcher. Qu’il avait temporellement fait marcher tout le monde ; et que tout le monde ne le ferait jamais spirituellement marcher. Pour lui ce n’était pas, ce ne serait jamais la plus haute autorité du royaume, la plus haute autorité judiciaire, la plus haute juridiction du royaume, le plus haut magistrat de la République. C’étaient des vieux juges. Et il savait bien ce que c’était qu’un vieux juge. On sentait si bien qu’il savait qu’il avait fait marcher ces gens-là, et qu’ils ne le feraient jamais marcher. Quand l’autre fut parti : Vous l’avez vu, me dit-il en riant. Il était rigolo avec sa Cour de Cassation. Notez qu’il était, et très délibérément, contre les lois Waldeck même. Contre la loi Waldeck. Mais enfin, puisqu’il y avait une loi Waldeck, il voulait, il fallait qu’on s’y tînt juridiquement. Et même loyalement. Qu’on l’appliquât, qu’on l’interprétât comme elle était. Il n’aimait pas l’État. Mais enfin puisqu’il y avait un État, et qu’on ne pouvait pas faire autrement, il voulait au moins que le même État qui fît une loi fût le même aussi qui l’appliquât. Que l’État ne se dérobât point et ne changeât point de nom et de statut entre les deux, qu’il ne fît point ceci sous un nom et qu’il ne le défît point sous un autre, sous un deuxième nom. Il voulait au moins que l’État fût, au moins quelques années, constant avec lui-même. L’autre voulait dire évidemment qu’il était d’un très grand prix, d’un prix suprême, d’un prix