Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/159

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Il faut bien voir en effet comment la question se posait. La question ne se posait nullement alors, pour nous, de savoir si Dreyfus était innocent ou coupable. Mais de savoir si on aurait ou si on n’aurait pas le courage de le déclarer, de le savoir innocent.

Quand nous écrirons cette histoire de l’affaire Dreyfus qui sera proprement les mémoires d’un dreyfusiste il y aura lieu d’examiner, d’étudier de très près et nous établirons très attentivement, dans le plus grand détail, ce que je nommerai la courbe de la croyance publique à l’innocence de Dreyfus. Cette courbe a subi naturellement les variations les plus extraordinaires. Naturellement aussi les antidreyfusistes ont tout fait pour la faire monter et il faut rendre cette justice aux dreyfusistes qu’ils ont généralement tout fait pour la faire descendre. Partie des environs de zéro en 1894 (la famille et quelques très rares personnes exceptées), on peut dire qu’elle monta, qu’à travers des soubresauts de toute sorte, des fluctuations politiques et historiques comme il ne manque jamais de s’en produire pour ces sortes de courbes elle monta constamment jusqu’au jour où le bateau qui ramenait Dreyfus en France introduisit parmi nous le corps même du débat. Dès lors, malgré les apparences, malgré un palier apparent, malgré une apparence d’horizontalité, en réalité elle commença de baisser lentement, régulièrement. Malgré des fortunes diverses, malgré des apparences de fortunes en réalité elle commença de tomber. Cette descente, cette chute, cette baisse est arrêtée aujourd’hui, on peut croire qu’elle est arrêtée pour toujours, parce qu’elle ne peut guère aller plus avant, tomber plus bas, parce que beaucoup de monde aujourd’hui s’en moquent