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Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/195

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vation, par ce détournement, par ce déglinguement Jaurès est entré dans le crime de Hervé ; par cette réversion, par cette réversibilité des responsabilités ; et de la plus basse façon que l’on y pût entrer, non point même par une complicité active, qui a ses risques, qui a son efficience, qui peut avoir même pour ainsi dire sa grandeur, mais obliquement, mais bassement, par une complicité tacite, sournoise, par une complicité de laisser faire et de laisser passer, par une complicité les yeux baissés. La plus basse de toutes. Et Dreyfus, faute de marquer les temps, est entré, s’est laissé entrer dans le crime de Jaurès.

Quelle fut la répercussion de cette double dérivation, de cette double décadence, de ce double détournement, de ce détournement à deux temps sur l’efficacité de nos démonstrations dreyfusistes, il était aisé de le prévoir. Quand on s’efforce de démontrer qu’un homme n’est point un traître pensant profondément qu’il ne faut pas être un traître, on est au moins écouté. Mais quand on s’efforce de démontrer qu’un homme n’est point un traître laissant dire et disant qu’il faut être un traître, l’opération, la démonstration devient extrêmement suspecte. Car alors, dans l’hypothèse hervéiste, qu’il faut trahir, qu’il faut être un traître, s’il n’a pas trahi, il a eu les plus grands torts, ce Dreyfus. Et alors pourquoi le défendre. Par une sorte de gageure, de suprême élégance on le défendrait d’avoir commis un crime que précisément il faudrait commettre, on le défendrait d’avoir fait ce que précisément il fallait faire : c’est bien de l’honneur, c’est bien de la politesse. C’est trop poli pour être honnête. S’il faut être