Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/237

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voyions passer, venant d’un historien, passant par-dessus un historien, par-dessus les épaules d’un historien, rompant toutes les méthodes, rompant toutes les métaphysiques positivistes, rompant toutes les disciplines modernes, rompant toutes les histoires et toutes les sociologies nous voyions passer les au delà de l’histoire. L’arrière-pensée, l’arrière-intention, la mystérieuse arrière-inquiétude, arrière-pensée de tant de peuples, des peuples antiques nous était ramenée, la même, intacte, intégrale, toute neuve, nous était reconduite entière par le plus vieux maître vivant de nos historiens modernes, par le plus respecté, par le plus considéré. Et c’était toujours l’histoire, plus que l’histoire, la destination du peuple d’Israël. L’émotion des autres était décuplée pour moi par cette sorte d’affection presque filiale, par cette sorte de piété secrète que depuis mes années de normalien j’ai toujours gardée pour notre vieux maître. Affection, piété un peu rude, on l’a vu. Mais d’autant plus secrètement profonde. D’autant plus filiale, d’autant plus comme personnelle, d’autant plus jalousement gardée. Je me sentais dans son affection un peu frère en pensée de Dreyfus, frère en affection, et cela me gênait beaucoup. Nous étions là. Nous étions des hommes. Le même souffle nous courbait, qui courba les peuples antiques. Le même problème nous soulevait, qui souleva les peuples antiques. Ce problème, cet anxieux problème de la fatalité, qui se pose pour tout peuple, pour tout homme non livresque. Et associant dans sa pensée, dans sa parole, sans même s’en apercevoir, tant c’était naturel, tant on voyait que c’était l’habitude, son habitude, associant l’homme et l’œuvre, le héros et l’histoire,