Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/240

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qu’il y a de pire, ce qu’il y a de fatal, ce qu’il y a de plus tragique, c’est qu’à moins d’entrer dans son crime et sous peine de participer de son indignité, de cette indignité même nous ne pouvons pas ne pas lui en demander compte. Quiconque a eu le monde en main, est responsable du monde. Nous ne pouvons pas entrer dans son jeu. Nous n’avons pas le droit d’entrer dans ses raisons, fussent-elles légitimes ; privément légitimes. Et c’est surtout si elles sont légitimes qu’il faut nous en défier. Car elles nous tenteraient. Nous devons tout oublier, le bien que nous savons de lui, l’affection que nous aurions pour lui, que nous serions tentés d’avoir pour lui, la touchante, la paternelle affection de ce vieil homme pour lui ; de ce vieil homme que lui-même nous respectons tant, que nous aimons tant. Nous devons tout oublier et nous ne pouvons que lui demander compte. Compte de cette immense bataille qu’il a perdue. Il s’est trouvé engagé sans le vouloir général en chef, plus que cela, drapeau d’une immense armée dans une immense bataille contre une immense armée. Et il a perdu cette immense bataille. Et nous ne pouvons lui parler que de cela. Nous n’avons le droit que de lui parler de cela. Nous n’avons le droit d’engager, d’accepter de lui, avec lui nulle autre conversation, aucun autre entretien. Nul autre propos.

Nous devons taire, nous devons faire taire tous nos autres sentiments. Il a été constitué un homme public. Il a été constitué un homme de gloire, d’un retentissement universel. Nous ne pouvons que lui demander compte de son action publique, de ses sentiments publics, de ce désastre public. Celui qui perd une bataille, en est responsable. Et il a perdu cette immense bataille. Nous