Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/259

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un grand débat s’éleva entre nous. Il voulait toujours, par discrétion, en supprimer. Mais j’ai toujours tout gardé, parce que c’était le meilleur. On en avait assez supprimé pour passer des textes à la copie, pour constituer la copie elle-même. — Cette lettre est trop intime, disait-il. — C’est précisément parce qu’elle est intime que je la garde. Il avait marqué au crayon les passages qu’il pensait que l’on pouvait supprimer. J’achetai une gomme exprès pour effacer son crayon. Il voulait s’effacer. Je lui dis : Paraissez au contraire. Un homme qui ne se propose plus que de se rappeler exactement, fidèlement, réellement sa vie et de la représenter est, devient lui-même le meilleur des papiers, le meilleur des monuments, le meilleur des témoins ; le meilleur des textes ; il apporte infiniment plus que le meilleur des papiers ; il est infiniment plus que le meilleur des papiers ; il apporte, à infiniment près, le meilleur des témoignages.

Vous remarquerez, Variot, vous entendrez le ton de ces mémoires. C’est le ton même du temps. Je ne serais pas surpris qu’un imbécile, et qui manquerait du sens historique trouvât ce ton un peu ridicule. Il est passé. Ces hommes, qui avaient ce ton, ont fait de grandes choses. Et nous ?

Le civisme aussi paraît aujourd’hui ridicule. Civique est un adjectif aujourd’hui qui se porte très mal. Il sonne en ique. Civique a l’air de rimer avec bourrique