Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/323

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monter des épaules. Y entrera-t-on seulement. Représenter, rendre ce monde, ces trois dimensions, avec cette plume qui gratte régulièrement, qui court sur le papier. Quand on est à sa table on trouve, on voit bien que la main ne rame pas, la main n’avance pas, la plume n’avance à rien, la main ne rend pas. Ah non vous n’êtes pas en automobile. Vous ne roulez pas. Telle est notre misérable condition. La main ne paraît pas avancer. Et il semble toujours qu’on n’a jamais rien dit.



Il n’est pas besoin d’aller jusqu’à Saclay, il n’est pas nécessaire de faire un grand voyage. À Lozère même, dans les bas du moulin, en face M. Poincaré, dans les champs tout au bord de l’Yvette, dans les assez petits champs en pente qui remontent doucement, (ce ne sont plus les grands champs, les champs immenses de la plaine, mais il n’est pas nécessaire de faire un long voyage), à cinq cents mètres du chemin de fer je vous montrerais des champs, de blé, coupés, des chaumes tout verts, d’herbe, où seulement ils n’ont pas séparé la paille et le foin. Alors vous voyez dans un coin de champ de rares, de vagues gerbes informes, (alignées tout de même, parce que le métier ne perd jamais ses droits), (et c’est ce qui est beau), des gerbes sans nom. Vous vous approchez, vous ne pouvez seulement pas les reconnaître. Herbe et avoine. Herbe et seigle. Herbe et blé. Tout cela sèche ensemble, parce que, heureusement,