Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/36

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Mais tout n’est pas de mourir. Ce que vaut l’homme à l’ordinaire des jours passe infiniment ce qu’il peut valoir une fois, une seule fois, dans la fièvre de la guerre, et ce qu’il y peut faire : quand il faut bien qu’il le fasse, après tout.

Il n’est pas vrai que toutes les morts soient héroïques. Il y a plus de demi héros que de vrais héros. La plupart meurent sans l’avoir voulu. L’admirable, c’est qu’ils s'y résignent ; et que les autres, les condamnés du jour qui va suivre, s’y résignent aussi. L’occasion fait souvent le héros, même au fort de la bataille, ou surtout. La mort peut mentir. Une maladie qui nous prive du sens et nous écœure, peut tuer le héros en nous. Mais le choix et la volonté de toute une vie ne mentent pas. La vertu héroïque de tous les jours, l’habitude des hauts lieux et d’être soi sans bassesse, la beauté qu’on fait sourdre de son sang, qu'on paie de sa douleur et de ses larmes, voilà qui a du prix au delà même de la mort. Voilà ce qui fait grands les hommes. Et nos aînés ne sont certes pas à notre taille : parce qu’ils ont tout pris et presque tout gardé. Et parce qu’ils tiennent tout sans mériter la possession, ils sont petits : car on les mesure à ce qu’ils prétendent posséder. Possession vaut titre. Qu’ils s'en félicitent, s’ils veulent ; et qu’ils se reconnaissent dans leurs fils avec complaisance : en effet, déjà leurs fils leur succèdent. Voilà des familles où l’on ne perd pas le temps.

Que le peuple est noble, qu’il est pur, si on le regarde, après avoir quitté ces gens-là. Il chante dans le volcan : il n’y fait pas ses comptes, et ne calcule pas ce qu’il gagne. Il meurt pour son clos, pour le lit