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antique. Les antisémites sont dans la race jusqu’au cou : elle les étrangle et ils crachent. Et les Juifs y croupissent ou y étouffent, forcés d’y être, les uns par violence, les autres par vocation.

Il n’est pas facile d’être Juif, dit Péguy. Sa grande vertu le porte à parler des Juifs avec une vérité non atteinte jusqu'à lui. Son âme altérée de justice ne renie pas la lignée des prophètes. Comme elle est très raide, très claire, sans complaisance, il ne flatte pas plus qu’il ne dénigre. Il pèse. Il fait le compte, et dans les balances de la pure morale, qui sont celles de l’homme commun : car l’homme n’est rien, d’abord, sinon l’animal capable de moralité.

Je n’irai pas plus avant dans le problème. Ce n’est pas le lieu. Péguy est sur la voie. Il ne fait pas de ces concessions à la Renan qui retirent presque tout ce qu’elles accordent. Il est sans mépris, ni dérision. Cependant, il n’a pas tout vu, et il manque le point, au centre.

C'est un malheur d’être Juif, si on l’est. Et un malheur sans mesure, si on ne l’est pas en effet, de passer pour l’être. Voilà tout.

Toute figure à part, je pense là dessus avec Pascal. Le Juif, ou présumé tel, doit payer pour toute une race ; et par une contrainte inouïe, on prétend qu’il en est, parce qu’on veut qu’il en soit. La malédiction du sang est à jamais sur lui. S’il est vraiment de la race, il expie pour tous les péchés d’Israël, quoi qu’il fasse : il y ajoute, s’il en prend son parti. Il les envenime, s’il s’en flatte. Et bien pis, il paie encore pour la race, s’il n’en est pas. On lui consent tout, hormis l’honneur, qui est la seule égalité entre les hommes, et