Page:Peguy oeuvres completes 05.djvu/230

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prends garde, mon enfant, le vieil orgueil ne dort jamais

Le vieil orgueil ne connaît pas le sommeil de la nuit. Le vieil orgueil ne connaît aucun lit de repos.

C’est la plus grande invention du malin, mon enfant, ma pauvre enfant. On l’admirerait presque pour ainsi dire, tu comprends, tu entends bien, mon enfant, tu comprends comme je le dis, tu entends bien ce que je veux dire. C’est vraiment son chef d’œuvre, on pourrait dire c’est presque un chef d’œuvre. Car ainsi il a tenté, il a pu tenter, il a réussi à tenter les saints mêmes de Dieu. Et toute la force que la nature nous avait donnée, il nous la retourne, c’est celle-là qu’il nous retourne contre la nature et contre Dieu ; et toute la force que la grâce de Dieu nous donne, il nous la retourne, c’est celle-là même qu’il nous retourne contre Dieu. C’est une canalisation admirable, tu m’entends bien, un détournement incroyable, un retour, un retournement de canalisation, une dérivation prodigieuse. Ah oui, ah oui, c’est un chef d’œuvre. Comment Dieu a-t-il pu lui laisser inventer ça. Par ce ministère, par ce moyen, par cette canalisation. Par le ministère de ce moyen, par le ministère de cette canalisation. C’est affreux. Vraiment c’est affreux à penser. Ainsi les sentiments qui nous tournaient vers Dieu, c’est par ceux-là, par ceux-là mêmes, qu’il nous en détourne. Les sentiments qui nous conduisaient naturellement vers Dieu, qui nous acheminaient à Dieu, qui nous faisaient aboutir à Dieu, c’est par ceux-là qu’il nous en écarte. Les passions, les flots de passion qui nous jetaient à Dieu, c’est par eux qu’il nous en arrache. Et les flots de la grâce, malheureuse enfant, les flots de la grâce de Dieu, c’est dans ces flots-là, c’est dans ces flots mêmes