Page:Peguy oeuvres completes 05.djvu/63

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à tout. Tantôt ils sauvaient et tantôt ils perdaient. Mais à présent ils perdent tout le temps. Dans le temps, il y avait des métiers, ils avaient chacun son métier ; et dans les métiers des fois ils servaient à perdre, mais des fois ils servaient à gagner. Et à présent on perd tout le temps. Ces hommes qui en font métier. Comment peut-on imaginer pareille misère, pitié pareille. Mon Dieu, mon Dieu, comment pouvez-vous, comment permettez-vous cela ? Des hommes qui ont un métier ; et ce métier, c’est de toujours perdre, c’est de faire, c’est d’opérer la perdition des âmes.

Hauviette

— Jeannette, écoute-moi bien :

Voilà bientôt cinquante ans passés, au dire des anciens, que le soldat moissonne à sa fantaisie ; voilà bientôt cinquante ans passés que le soldat écrase, ou brûle, ou vole, à sa guise, la moisson mûre ; et pour le moins qu’il foule au pied des chevaux la moisson mûre. Eh bien ! après tout ce temps-là, tous les ans, à l’automne, les bons laboureurs, ton père, le mien, tes deux grands frères, les pères de nos amies, toujours les mêmes, les mêmes paysans, les mêmes paysans français, labourent avec le même soin les mêmes terres, à la face de Dieu, les terres de là-bas, et les ensemencent. Voilà ce qui garde tout. Les maisons démolies, on les rebâtit. Les églises, les églises mêmes, les paroisses démolies, on les rebâtit. La paroisse n’a jamais chômé. Et avec tous ces embroussaillements le culte, le culte de Dieu n’a jamais chômé. Voilà ce qui garde tout. Ce sont des bons chrétiens. La messe n’a jamais chômé ; ni les vêpres ; ni aucun office ; ni