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OEUVRES POSTHUMES Temporellement aussi puissante. Et que quand je lance de ces plaisanteries stupides, mon cœur est ailleurs, ma pensée absente. Combien d'autres à ma place abu- seraient d'une puissance aussi souveraine aussi incon- testée. J'aimerais aimer. Comme celle qui fut j'ai mis tout mon bien dans le temporel et j'ai eu de grands triomphes dans le temporel dans le temps, et nulle n'a eu de plus grands triomphes que moi cette heaumière et moi qui fus j'arrive au temps que je ne serai pas, car j'arrive, comme celle qui fut je suis arrivée au temps que le temporel ne se refait pas, ne s'obtient plus, je suis parvenue à l'âge où le temporel ne sert (plus) de rien. J'aimerais, j'eusse aimé aimer. Je suis aujourd'hui une vieille femme toute pleine, toute atteinte de mélancolie. Neuf sœurs naquirent dans la maison de ma mère. J'étais la première née. C'est un dur métier, vous le savez, que d'être l'aînée, la pre- mière venue au monde dans une maison où il y a tant de filles. Ça fait des familles véritablement très lourdes. J'étais la sœur aînée, la célèbre sœur aînée. C'est moi qui débarbouillais tout ce petit monde. Je le devais. Je m'en acquittai avec beaucoup de dévouement. Mais le dévouement n'est pas ce qui fait la beauté des filles. Surtout des filles païennes. Or je suis venue au monde à l'âge païen dans une humanité païenne. J'étais la petite mère. Comme dans toutes les familles nom- breuses. Tous les matins c'était moi qui les envoyais à l'école et je leur faisais mes recommandations, je leur recommandais, je leur disais d'être bien sages. Sages,

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