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risquer le risque même. Ils sont assurés de ne jamais pouvoir prétendre à cette triple grandeur.

Au fond, pour Homère, pour les tragiques, pour tout le monde antique ils ne sont pas finis. Ils manquent d'un emplissement, du seul accomplissement, de la seule plénitude. Ils ont un destin qui ne s'emplit pas.

En somme pour le monde antique, (disait-elle), pour tout le monde antique et jusque dans Platon en un certain sens, et qu'ils se le soient avoués ou non, ou plus ou moins, les dieux ne sont pas pleins, et l'homme est plein.

Et moi l'histoire, dit-elle, parce que je suis tout de même une Muse et l'aînée des Muses et la fille de Zeus, et du Zeus olympien, c'est peut-être pour cela que mon sort aussi n'est jamais plein. L'homme qui fait sa prière est plein. L'homme qui reçoit un sacrement est plein. L'homme qui meurt est plein. Il est plein d'une vie et même d'une éternité. Mais l'homme qui se remé- more n'est jamais plein. Et moi je suis celle qui ne fait jamais que se remémorer.

L'homme qui se remémore, l'homme qui se rappelle, l'homme qui appelle, (c'est tout un), restera toujours sur sa faim. Et moi, qui ne fais jamais que tout cela, je ne serai jamais rassasiée.

Il me manque, dit-elle, naturellement, mais il manque aux dieux hommes ce qu'il y a peut-être de plus grand dans le monde; et de plus beau ; et de plus grand et de plus beau dans Homère : d'être tranché dans sa fleur; de périr inachevé ; de mourir jeune dans

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