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Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/241

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tion ce que j’ai précisément dit c’est le contraire, — (et cela prouve qu’on a bien du mal à se faire entendre), — c’est que nous avons toujours continué dans le même sens, c’est qu’il n’y a dans notre carrière, dans notre vie aucun point de rebroussement, — (je ne le dis pas parce que c’est bien, je le dis parce que c’est vrai ; je ne dis aucunement que cela vaut mieux, je dis que cela est ainsi ; je ne dis aucunement que nous valons mieux que ceux qui ont eu un point de rebroussement, un point de conversion, une conversion ; ce serait aussi fort loin de ma pensée ; je dis seulement que nous sommes ainsi, que nous fûmes tels, que nous avons été ainsi, que notre histoire fut telle, ὃτι τοῦτο οὓτως ἐγένετο).

Dieu nous garde de cette pensée que nous vaudrions mieux que les autres. Mieux que personne. C’est peut-être la pensée dont j’ai le plus horreur. Le cœur humain a ses secrets. Il a ses détours. Autant je tiens à être d’une race éminente, d’un peuple éminent, parce que c’est vrai, autant je tiens à ce que cette race, à ce que ce peuple soit rare, unique, éminent, parce que c’est vrai, autant au contraire, ou peut-être plutôt par le même mouvement, autant je tiens aussi à ce que dans cette race, dans ce peuple, une fois dans cette race, une fois dans ce peuple, nous n’y soyons pas plus malins que les autres.

Je ne veux pas que nous soyons meilleurs que les autres, dans la race française. S’il y a quelqu’un qui tient à ne pas être meilleur que les autres, c’est moi. Et comme j’aime à partager je tiens beaucoup aussi à ce que les autres ne soient pas meilleurs que les autres, à ce que notre génération ne soit pas meilleure que les autres. Il ne faut point l’entendre en ce sens que toutes ces générations françaises seraient également peu bonnes,