Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/214

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l’oubli pour tous ceux qui auraient posé les armes, l’eussent-ils fait beaucoup plus tard. Je ne pense pas qu’on aurait considéré comme une arme de guerre le bistouri du chirurgien, bien que telle ait été souvent la jurisprudence du massacre.

Malgré cela, quand les troupes régulières furent à la gare Montparnasse, Tony-Moilin, sur des conseils pressants, quitta son domicile et alla chercher ailleurs un refuge. Il laissait chez lui sa femme enceinte et une domestique qui était encore une enfant.

L’arrivée de l’armée dans le quartier, le mercredi, rendit courage à toute une meute de dénonciateurs, bourgeois dévots, gardes nationaux à brassard, qui entourèrent les officiers pour leur désigner les victimes, allèrent s’attrouper, en poussant des cris de mort, devant les maisons des suspects, firent, du droit de leur basse cruauté, des perquisitions dans les appartements, entrèrent aux séances de la cour prévôtale pour pousser aux rigueurs impitoyables… J’ai le nom de quelques-uns de ces gens-là qui furent mêlés à l’arrestation de Tony-Moilin : un D*****, un P****** (dénonciateur de Salvador), un Georges G******* du 115e bataillon, fils d’un fabricant du quartier, un F******, petit homme rouge de figure, rougeâtre de cheveux, le plus furieux de tous. Aussitôt la troupe arrivée, ils vinrent hurler avec les voisins, devant la maison de Tony-Moilin. Ils y montèrent à chaque minute, faisant perquisition sur perquisition. Le nommé F., surtout, n’en sortait pas.

Madame Moilin, après avoir été accompagner le docteur, dut subir les premières et brutales visites. Puis elle retourna avertir Tony-Moilin, l’emmena chez un ami commun et ne rentra que le lendemain matin. Les sieurs G… et F… étaient déjà revenus chez elle. Ils la menacèrent. « Dites-nous où il est. — Je n’en sais rien. —