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Savez-vous où on la fit entrer pour attendre ? Dans une chambre dont les fenêtres donnaient sur le jardin, sur l’endroit où l’on fusillait son mari ! Elle dut rester dans un coin et tourner le dos pour ne point voir !

Je rappelle qu’elle était enceinte.

Le condamné fut conduit au pied du lion de pierre placé à gauche des quelques marches par où l’on monte à la grande allée du Luxembourg. Les traces des balles se voyaient encore récemment sur le piédestal.

Au bout d’un instant, le prêtre revint très pâle, disant à madame Moilin : « Ne demandez pas à voir le cadavre… on vous le rendra demain… » C’est qu’on s’était arrangé pour que le cadavre fût affreusement ravagé par les balles.

Faut-il dire comment on fit reconduire la malheureuse femme par les soldats ; comment on fit encore de nouvelles perquisitions chez elle ; comment le lendemain, le dénonciateur F***, osa venir lui dire : « Vous n’avez pas perdu beaucoup, il était bien hideux, fusillé ; » comment on se joua d’elle pendant deux mois pour lui refuser le corps, la renvoyant de Versailles à la préfecture de police, de la préfecture au cimetière, lui faisant faire les premiers frais, lui faisant prendre des autorisations de M. Thiers et du préfet, dont on ne tenait aucun compte… Il y avait ordre formel de ne retrouver le cadavre à aucun prix.

Écoutez comment M. Garcin raconte les choses :

« Tony-Moilin a été arrêté un soir, à neuf heures. Il a dit qu’il voulait prendre certaines dispositions. Un point à noter, c’est que presque tous les chefs vivaient en concubinage. Tony-Moilin a demandé à régulariser son union ; il voulait assurer sa fortune à sa concubine ; on lui a donné toute la nuit pour prendre ses dispositions. Je ne l’ai su que le lendemain matin, et je lui ai de-