Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/244

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ou d’en retarder la solution jusqu’au moment où elle me deviendrait inutile.

» Ces faits se rapportent à l’un des mille épisodes terribles qui marquèrent l’écrasement de la Commune.

» Le 26 mai, à huit heures du matin, mon mari, qui n’avait jamais partagé mes opinions, sans vouloir m’imposer les siennes, me voyant accablée par la ruine de mon parti, cherchait à me consoler. Il me représentait l’ordre dont nous allions jouir, sous le gouvernement paternel de M. Thiers. Je n’étais guère en état de goûter ses consolations. Comme je ne lui répondais pas, il pensa qu’il valait mieux me laisser seule à ma douleur. À peine était-il monté à l’étage au-dessus de notre appartement, que j’entendis le bruit mat des crosses de fusil tombant sur le palier. M’arrêter, m’emmener fut l’affaire d’un instant pour les gardes nationaux.

» Vous n’avez peut-être pas oublié, monsieur, que pendant ces jours d’horreur, le temps faisait sa partie dans la tempête humaine déchaînée sur Paris. Comme fond de décor, il fournissait à la tragédie des rues un ciel tantôt sombre, tantôt éclatant. Après de radieux coups de soleil, des nuages noirs versaient des torrents d’eau sur le sang des pavés.

» Entre mon escorte de gardes nationaux, je cheminais sous la pluie et les insultes des bonnes marchandes, qui me menaçaient du seuil de leurs portes, contente que le hasard eût épargné à mon mari le spectacle de mon arrestation, quand vers le milieu de la rue Croix-des-Petits-Champs, je le vois accourir, un parapluie à la main. Il demanda aux gardes la permission de m’abriter, de m’accompagner. On ne lui permit que de nous suivre.

» — Pourquoi es-tu venu ? lui demandai-je.

» — Pour te défendre.