Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/70

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rantin. J’entre chez un pharmacien que je connaissais ; peu s’en est fallu que je ne le visse pour la dernière fois. Quelques heures plus tard, il avait quelques fédérés blessés dans la boutique ; il voulut les protéger, il fut collé au mur. Il échappa ; mais ses blessés ne furent pas épargnés.

» Je trouve là un ami, et nous errons ensemble. Nous rencontrons un officier de la garde nationale à cheval, suivi de quelques hommes (c’était, je crois, un aide de camp de Delescluze) : « Allons, voilà du renfort ; venez avec nous. — Il n’y a plus personne du côté où vous allez. — Qu’importe ? nous mourrons. » Au tournant de la rue, le malheureux pirouettait sur son cheval et tombait sur le pavé.

» Nous tournions de rue en rue, au milieu du combat. Du haut de la rue Tholozé, je vis briller les pantalons rouges à travers les arbres : Montmartre était pris. Nous traversons encore deux barricades. À l’une, on veut nous retenir. Je réponds : « Mais les troupes sont sur la butte. — Eh bien ! vous mourrez avec nous. » Il me faut mettre la baïonnette au fusil pour passer. À l’autre, on nous laisse aller. Je dis : « Vous allez mourir inutilement. » — On me répond : « Nous sommes là, nous tiendrons jusqu’au bout. Quant à vous, rentrez ; vous faites bien. » Nous entrons à quelques pas de là chez un ami, cité Leclerc. Et comme j’oubliais de refermer la porte cochère. « Fermez donc, me dit un des hommes de la barricade, ils vont arriver, tout le monde y passera. » J’avais le cœur gros de penser que ces malheureux allaient se faire tuer.

» Un peu après, un tintamarre de fusillade éclatait autour de la maison. Puis un grand silence. Je regarde par la fenêtre dans la cour de la cité : une troupe portant le costume de la garde nationale y pénétrait. Mon