Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/77

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ceau de pain), la gorge brûlée par la soif. Il y en avait qui perdaient la raison. Une femme et son mari, n’y pouvant plus tenir, se levaient, étaient rassis à coups de crosse et menacés d’être fusillés. La journée se passa, la nuit vint. Les soldats chargèrent leurs armes et montèrent sur le bastion pour dominer les prisonniers. Un canon fut braqué sur eux. Ordre de faire feu à la première tentative d’évasion. La vue des incendies exaspérait les gardiens. Le jour reparut, les prisonniers étaient hébétés, éreintés : la fatigue de rester couchés dans la poussière et dans les ordures, le soleil qui tapait sur les crânes, les mettaient hors d’eux. Un malheureux se levait à chaque instant, prenant tous les prétextes pour faire quelques pas. Un sergent impatienté se jeta sur lui, le terrassa, puis aidé de ses hommes, lui lia bras et jambes et le coucha sur le bord de la ligne.

Un bruit de chevaux se fit entendre. Un général arriva, entouré de ses officiers. « Je suis Gallifet », dit-il. — Nous retrouverons souvent ce général : d’après tous les récits, c’était chez lui une habitude de faire d’abord sonner son nom aux oreilles des insurgés. On devine les menaces et les propos par lesquels le général continua. — Puis : « Qu’a fait cet homme ? » dit-il en désignant le prisonnier qu’on venait de lier. Et quand on lui eut expliqué pourquoi il avait fallu l’attacher ainsi : « Fusillez-le sur le bastion. » On obéit. Alors le général : « Avez-vous des déserteurs, des chasseurs surtout ? » — On lui désigna un jeune homme. Il le fit sortir des rangs, le malheureux voulait se débattre, s’expliquer… on l’entraîne, on l’exécute… il parlait, suppliait encore, quand le feu de peloton le coucha, par terre.

Enfin le général partit. Et le soir, après quarante-huit heures de séjour au bastion, les prisonniers furent dirigés sur la Muette.