Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/208

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chair et les gouttes de notre sang, nous traîne par les pieds dans une fosse de voirie.

Celui-là, peu importe son nom, n’est pas né dans les rangs des heureux. Une fée n’est pas venue au chevet de sa mère sourire à sa naissance. Il n’a pas trouvé sur sa nappe le myrte et la palme le jour où il a pris place au banquet de l’homme. Il n’a pas recueilli, dès le premier pas au premier hymne tombé de sa lèvre, le murmure et l’applaudissement de la multitude. Il n’a pas marché dans la vie au milieu des pluies de fleurs et des parfums de la gloire. Il n’a pas moissonné dans l’abondance, ni pressé dans sa coupe d’or la grappe de sa colline, et la jeune fille, en le voyant passer, n’a pas senti remonter à son front le rêve de son cœur, ni la jeune femme serré plus tendrement son enfant sur sa poitrine.

Loin de là. Il vint au monde sous un toit battu du vent de l’adversité, et le premier baiser de sa mère l’a marqué peut-être, pour le reste de sa vie, d’une mystérieuse pâleur. Ah ! il voudrait aujourd’hui pouvoir racheter de ses deniers la maison de son enfance, et en murer les portes et les fenêtres. Pour lui point de sillon dans la plaine, point de ceps sur le coteau. Prolétaire de la pensée, il a fait rudement son chemin. À chaque pas il a heurté un obstacle, et le passant l’a repoussé du coude dans la cohue. Il a vécu au jour le jour, et le soir, penché sur son foyer éteint, il a cherché dans une muette angoisse le secret du lendemain. Il a vu tomber autour de lui plus d’une tête chère dans le guet-apens de la