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Page:Pelletier - Mon voyage aventureux en Russie communiste, 1922.djvu/81

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en russie communiste

pourrait venir m’offrir un passeport pour la France, je le prendrais avec joie ; je ne suis pas encore en Russie et l’envie de la voir m’a déjà passé.

Impossible de dormir dans l’air empuanti. J’ouvre un peu la lourde porte et cela me vaut les récriminations à cause du froid. Je m’assois sur ma valise juste en face de la fente pour respirer directement le filet d’air qui arrive du dehors. Des insectes dégoûtants courent, je les sens sur mon corps. Comme personne ne me voit, je donne libre cours à ma faiblesse et pleure amèrement.

Nous sommes dans la capitale d’un État tampon ; le wagon diplomatique promis n’est pas arrivé. La voiture « bolchevique » où nous logeons est parquée seule au fond de la gare comme une pestiférée. Il nous est défendu de sortir en ville. Je vais au buffet me restaurer un peu et je regarde la liberté à travers les fenêtres qui donnent sur la place. Qu’ai-je fait pour voyager comme une prisonnière ?

Le soir, comme je rentre au wagon, un policier me met la main sur l’épaule ; je me dégage et cours vers la voiture en criant : « Ich gehe nach Rusland » (je vais en Russie). — Ah ! ah ! « ich gehe nach Rusland ! » crient haineusement trois hommes qui passent. Je comprends de quelle ceinture de haine les heureux de ce monde ont entouré la nation où, pour la première fois le prolétariat a osé s’affranchir.