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Page:Pelletier - Mon voyage aventureux en Russie communiste, 1922.djvu/90

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mon voyage aventureux

des portraits des chefs du Gouvernement ; mais tout cela vieilli, jauni, plein de poussière ; mon cœur ulcéré par le mauvais voyage m’y fait lire la lassitude, l’abandon du premier enthousiasme. Dans un coin un piano, une jeune fille qui porte au bras le brassard de la Croix-Rouge joue des valses lentes. Je lui demande de jouer l’internationale ; elle a un sourire de mépris qui va à moi ou à la chanson, je ne sais pas ; peut-être à toutes les deux. J’ai froid ; j’ai faim. Il y a bien une cuisine soviétique d’où je vois sortir des gens avec du pain et des saucisses appétissantes ; mais je n’y ai pas droit. Je n’ai droit qu’au buffet bourgeois : il est au diapason de la classe. Sur le haut meuble luxueux traînent dans des assiettes poussiéreuses quelques gâteaux défraichis, sur lesquels se restaurent d’innombrables mouches.

Mais je ne suis pas en situation de faire la difficile. Je mange un de ces gâteaux que j’arrose d’un abominable café au lait couleur de poussière délayée ; j’en suis quitte pour quelques milliers de roubles.

À six heures du soir les camarades reviennent ; ils se sont occupés d’eux-mêmes et pas de nous. Ils nous disent que nos papiers ne sont pas prêts et que nous devons rester là ; combien de temps, on ne sait pas.

Je suis furieuse. Certes, je ne demande l’aide de personne, mais au moins qu’on me laisse me