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INTRODUCTION — DU BEAU ET DE L'ART

A l’élite seule de l'humanité sont accessibles les sommets de la beauté véritable. En effet, toutes les nuances du beau échappent aux deux classes extrêmes : aux ignorants, à cause de leur grossièreté ; aux dépravés, à cause de leur corruption ; les uns ne sont point élevés, les autres sont mal élevés, dégradés et déchus. C’est que la simplicité est un caractère de la beauté ; or le charme de la simplicité ne peut toucher ni les esprits ignorants, ni les esprits blasés : les uns et les autres ont un égal besoin d’extraordinaire, de surcharge et d’imprévu.

« Ne pouvant y atteindre, comme dit Montaigne, ils s’en vengent par en médire. » De là ces froides et ineptes railleries contre l’enthousiasme du beau.

Pour lutter contre cette manie commune d’un dénigrement moqueur, nous devons avoir toujours présent à l’esprit ce jugement de Mme Necker de Saussure : « L’admiration est salutaire, elle dilate les cœurs ; c’est une affection sociale, religieuse même, qui nous met en harmonie avec nos semblables, avec Dieu. »

Enfin c’est le privilège de toutes les choses vraiment belles de ne jamais lasser l’admiration , de rajeunir et de refleurir avec éclat sous la culture d’un examen intelligent. La même observation s’applique avec une parfaite exactitude à tous les chefs-d’œuvre de l’imagination humaine en quelque genre que ce soit : à la Diane de Gabies, au Septuor de Beethoven, aux Deux Pigeons de la Fontaine. Joubert a dit excellemment : « Ce qui est singulier étonne une fois ; mais ce qui est admirable est de plus en plus admiré. »

Par conséquent toute œuvre d’art qui perd de son charme par l’habitude est une œuvre d’un ordre inférieur dont le succès tient à la mode et passera comme la mode elle-même.